Potpourri printanier
Droit des femmes et nouveaux médiums innovants pour le legal scholarship.
(If you’re an american reader, please do not unsubscribe, I’ll come back with english content soon. Thanks for your support, I appreciate it. As would say, you are great Americans.)
Journée internationale du droit des femmes
Il y a quelques mois, dans un colloque organisé par l’Institut Intelligence et Données, Sandrine Blais-Deschênes lève la main pour émettre un commentaire sur la manière dont on traite les étudiants gradués. Le commentaire est courageux, il fait mouche.
Impressionnée par son franc-parler, je vais la voir pour lui parler pendant le cocktail qui suit le colloque. Pendant notre conversation, sur un ton plein d’assurance toujours, elle me dit quelque chose qui s’apparente à ceci:
C’est certain que quand il y a des évènements pour célébrer les femmes en IA, et que le trois quarts des conférenciers sont des juristes ou des gens de sciences sociales, ça fait drôle un peu...
Ayant moi-même pris part à ce genre d’évènements, le commentaire me challenge. Encore à ce jour, j’y repense souvent. Heureusement, le message de Sandrine commence à passer. Cette semaine, elle faisait l’objet d’un reportage pour promouvoir la place des femmes en informatique à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes.
Pour écouter le reportage, c’est ici.
Dans l’entrevue, Sandrine souligne que le fait d’avoir plus de femmes qui font de l’intelligence artificielle permettrait d’identifier les impacts négatifs des technologies sur les femmes plus tôt dans le processus.
Elle a tout à fait raison. Le fait d’avoir une perspective différente permet souvent de soulever des enjeux différents.
Droit à l’avortement
D’une certaine manière, le débat entourant le droit à l’avortement est un exemple frappant pour illustrer l’importance d’avoir des femmes dans les hautes sphères du pouvoir—que ces sphères soient technologiques ou juridiques.
Dans deux décisions phare qui ont établi les contours du droit à l’avortement au Canada, des femmes juges ont pris la plume pour faire valoir des perspectives singulières qui ne semblaient autrement pas être prises en compte par la majorité (masculine) de juges.
Par exemple, dans l’arrêt Morgentaler, la juge Bertha Wilson de la Cour suprême est la seule des 7 juges à soutenir que la criminalisation de l’avortement porte atteinte au droit à la liberté des femmes. Elle est aussi la seule femme sur le banc.
Dans l’affaire Tremblay c. Daigle, la juge Christine Tourigny de la Cour d’appel doit également faire cavalier seule pour s’opposer à l’injonction qui privait Chantal Daigle de son droit de se faire avorter.
Cela illustre clairement l’importance de la représentativité.
Mais, pourquoi donc réfléchir aux questions de droit à l’avortement en 2023? Peut-être est-ce le fait que la question soit dans l’air du temps. Avez-vous vu qu’une série télévisée sur l’affaire Tremblay c. Daigle vient tout juste de sortir?
Et puis, évidemment… il y a tout ce qui se passe aux États-Unis.
Depuis l’arrêt Dobbs v. Jackson Women's Health Organization de la Cour suprême, les États-Unis ne reconnaissant plus le droit à l’avortement comme un droit constitutionnel. Ainsi, certains États américains criminalisent désormais la pratique.
Dans un monde hyperconnecté comme le nôtre, les technologies contriburont soit à magnifier les impacts négatifs de cette nouvelle réalité, ou à les mitiger. Il est donc important que les femmes, qu’elles soient informaticiennes ou juristes, s’intéressent à la question.
À ce titre, il y a trois juristes américaines qui le font particulièrement bien : Leah Litman, Melissa Murray et Kate Shaw du podcast Strict Scrutiny. Ce sont trois professeures de droit constitutionnel qui co-animent un balado portant sur les questions entourant la Cour suprême des États-Unis.
Elles sont brillantes, éloquentes et caustiques.
En plus d’y apprendre une tonne de choses, je me suis surprise à rire audiblement à plusieurs reprises dans leur épisode portant sur la version brouillon de l’arrêt Dobbs qui a coulé dans les médias avant sa publication officielle, un sujet qui n’a pourtant rien de particulièrement drôle…
L’image ci-dessus constitue un bel exemple du savant mélange d’humour et d’intelligence de Strict Scrutiny. Il s’agit d’un T-Shirt sur lequels on voit le juge Samuel Alito—qui est l’auteur de l’opinion majoritaire dans Dobbs—en train de faire du skateboard au-dessus des colonnades détruites de l’édifice de la Cour suprême des États-Unis à Washington.
Le terme Yolo Court inscrit en grosse lettres est un terme inventé par Litman, Murray et Shaw pour qualifier l’approche “move fast and break things (including decades of precedent)” qu’adoptent les juges conservateurs de la Cour suprême des États-Unis actuellement.
Les balados, une forme de legal scholarship?
En parlant de Podcast.
Sara Grass, une autre professeure de droit américaine a récemment publié un article dont la thèse est la suivante : les podcasts devraient être reconnus comme du legal scholarship en bonne et due forme. Un extrait de l’article qui est particulièrement intéressant :
[…] in order to remain visible and to provide value to the legal profession, legal academics must proactively follow what Orly Lobel calls, “the Goldilocks Path” of legal scholarship – a mix of writing modes and online engagements that enrich our professional lives.
Rather than simply tolerating or permitting scholarly departures from the well-worn road of traditional journals, like blogging and podcasting, law school faculties and administrations should adopt policies, funding mechanisms, and institutional support to actively encourage them.
Bien dit, Sara, très très bien dit.
Le podcast est un remarquable moyen de faire de la recherche en droit.
D’abord, les balados sont d’une grande richesse pour ceux qui les écoutent. Lorsque je commence à travailler sur un sujet, je commence toujours par écouter des podcasts—souvent je me tourne vers Lawbytes de Michael Geist, Arbitors of Truth de Lawfare, ou Modern Law de Yves Faguy.
Mais ils n’ont pas seulement de la valeur pour ceux qui les écoutent, ils servent aussi une fonction importante pour ceux qui les enregistrent, tel qu’en témoigne l’échange de tweet ci-dessous :
Pour écouter le fruit de nos réflexions sur les villes intelligentes, le balado #IACafé, animé par Jean-François Sénéchal, est disponible ici.
Des nouvelles du Laboratoire de Cyberjustice
Enfin, il n’y a pas que le podcast qui est un nouveau médium créatif pour faire de la recherche en droit, le Laboratoire de Cyberjustice s’est lancé dans une toute nouvelle initiative fort intéressante également : les vidéos!
Je laisse à Sébastien Meeùs le soin de partager le projet qu’il porte pour le laboratoire.
Vous pouvez accéder aux vidéos du laboratoire en cliquant ici, et vous trouverez ci-dessous un texte écrit par Sébastien pour résumer son expérience.
Proposer des vidéos de vulgarisation juridique sur YouTube est un projet de longue date, car je suis également créateur de contenu sur le jeu vidéo sur une chaîne dédiée et je voulais étendre cette passion à mon autre centre d’intérêt qu’est le droit. La chaîne du Laboratoire de Cyberjustice était l’occasion parfaite de s’essayer à l’exercice tout en s’adressant à l’audience appropriée, soit les personnes intéressées par le droit et le numérique.
C’est une expérience aussi passionnante qu’intrigante, car on ne produit pas une capsule vidéo comme on écrit un article voire même un billet de blogue, il faut trouver les adaptations nécessaires au format vidéo et YouTube pour faire bon usage des particularités du format sans perdre l’essence du message. Bien entendu, il n’est pas possible d’entrer dans le détail dans une vidéo comme on le ferait pour un article, sauf à faire des vidéos d’une heure sur un sujet précis ce qui peut être envisagé dans le futur, mais la vidéo a l’avantage de pouvoir introduire un sujet à une large audience avant de la diriger vers d’autres ressources si la vidéo a réussi a suscité leur intérêt. Une capsule vidéo peut présenter un sujet qui a été abordé dans un document de travail ou un article publié que la vidéo va donc porter à la connaissance du spectateur.
Dans d’autres cas, la vidéo peut servir à montrer le droit en pratique, comme je l’ai fait dans ma vidéo sur la portabilité des données en tentant de changer de réseau social et de me confronter à la réalité de l’interopérabilité (toute relative) des réseaux sociaux. Cette démonstration de quelques minutes filmées et montées aurait été bien plus difficile à mettre en œuvre dans un article, ou même dans une conférence, car le montage permet de gagner en fluidité et de faire fi des éventuels problèmes techniques rencontrés.
Le format de capsules vidéos est donc un outil de communication puissant qui vient s’ajouter aux ressources traditionnelles du droit pour partager les connaissances, sans les remplacer. L’idéal pour discuter d’un sujet serait de proposer plusieurs documents, dont une capsule vidéo, afin d’aborder toutes les facettes de la problématique. Qui plus est, cette nouvelle forme de communication au public s’accorde bien avec les finalités de recherche du Laboratoire sur le numérique et l’accès à la justice.
Il reste encore énormément de territoires à explorer dans le format vidéo, à grand potentiel : des interviews de personnalités académiques ou d’acteurs du monde numérique, des microtrottoirs pour recueillir l’avis du public sur une question telle que l’exercice de leurs droits en matière de renseignements personnels, des balados de l’équipe interne,… J’ai récemment pu tester les #shorts, soit l’équivalent TikTok sur YouTube, qui est un exercice requérant un effort intellectuel pour réussir à décrire une problématique juridique en moins d’une minute… et beaucoup de montage !
Enfin, loin d’être pionnier dans les vidéos juridiques, je pense que cette tendance est amenée à s’intensifier dans les années futures avec la nouvelle génération, à la fois consommatrice et créatrice de ce genre de contenu. Les juristes ont toujours eu des passions annexes au droit et certains en ont fait une vocation à succès, en général en écrivant des livres. Il n’est donc pas insensé d’estimer que la création de contenu vidéo soit promise à un bel avenir.
Bon début de printemps
Et la beauté avec ces médiums innovants que sont les vidéos et les podcasts, c’est qu’ils peuvent être consommés en prenant des marches dehors.
Aussi surprise que ravie de retrouver un de mes commentaires en illustration de votre propos 😊, que je partage à 100000% par ailleurs, autant pour le droit que pour toutes les autres disciplines!!
Les universités doivent évoluer dans leur compréhension de la valeur ajoutée de la diversité des individus qui composent son corps professoral, autant que celle des supports et médias servant à diffuser la connaissance au sein des communautés scientifiques elles-mêmes, mais encore plus surtout au delà de celles-ci, afin de rejoindre toute personne intéressée par un sujet via un contenu pertinent et accessible pour elle.
En 2023, une démarche d'inclusion des acteurs.trices et des formats, fait selon moi autant partie du mouvement que représente la science ouverte, que ce n'est le cas des revues scientifiques en accès libre...